Selon la SODEXAM, la ville d’Abidjan a connu ces 10 dernières années, une augmentation de la fréquence et de l’amplitude de vagues de chaleur. Cette hausse constante de la température se traduit par des îlots de chaleur urbains (ICU). Les ICU sont des secteurs urbanisés caractérisés par des températures du sol plus élevées de 5° à 10°C que l’environnement immédiat. Cette situation peut avoir des effets considérables sur la santé des communautés vulnérables. Dr. Maïmouna YMBA. Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), décembre 2022.
Les îlots de chaleur urbains (ICU) tuent plus de personnes que tout autre événement météorologique extrême : plus que les tornades, les ouragans et même les inondations. C’est pourquoi les scientifiques proposent de nouvelles conceptions novatrices pour aider à maintenir les températures basses à Singapour. Bloomberg Originals, mars 2021
LE RECHAUFFEMENT DU CLIMAT EST AMPLIFIE DANS LES GRANDES AGGLOMERATIONS PAR L’EFFET DE L’ILOT DE CHALEUR URBAIN (ICU)
Les îlots de chaleur urbains (ICU) sont des zones urbaines qui ont des températures plus élevées que les zones environnantes en raison de l’absorption et de la rétention de la chaleur par les matériaux de construction, les routes, les véhicules et autres infrastructures urbaines. En Afrique, les ICU sont un problème croissant en raison de l’urbanisation rapide et de l’augmentation de la population dans les zones urbaines.
En plus du climat local, influencé par différents paramètres météorologiques comme la température, l’humidité relative et le vent, plusieurs causes de source anthropique favorisent l’émergence et l’intensification des îlots de chaleur urbains. Ces causes sont les émissions de gaz à effet de serre, la perte progressive du couvert forestier dans les milieux urbains, l’imperméabilité des sols, le bas albédo (fraction du rayonnement solaire incident réfléchie par une surface ou un corps) et les propriétés thermiques des matériaux, la morphologie urbaine et la taille des villes, ainsi que la chaleur anthropique dégagée par les industries, la climatisation, etc. En fin, la vitesse du vent est plus lente en raison de la friction des bâtiments plus hauts dans les zones urbaines.
L’îlot de chaleur est tout d’abord dépendant du moment de la journée. En général, l’îlot de chaleur urbain commence à croître en fin d’après-midi et augmente au coucher du soleil pour atteindre son maximum au milieu de la nuit. Par nuit calme, il se crée alors une sorte de « bulle de chaleur » sur la ville.
Les hommes de science se sont depuis l’Antiquité intéressés aux relations entre le climat et la ville, que ce soit tout d’abord dans la prise en compte des conditions climatiques d’un site pour l’implantation et la conception architecturale des cités ou, plus tard, dans l’influence de la ville sur ses habitants et son environnement, notamment en matière de pollution de l’air. Cependant, la mise en évidence d’un climat spécifiquement urbain n’intervient qu’au début du XIXe siècle, lorsque le pharmacien britannique Luke Howard publie entre 1818 et 1820 Le climat de Londres, ouvrage qui étudie, à partir d’une série de relevés météorologiques d’une période de neuf ans, la température, les précipitations et le brouillard, le fameux smog, de la capitale anglaise. Il note ainsi une différence des températures nocturnes de l’ordre de 3,70 °C entre le centre de Londres et sa campagne, ce que l’on nomme aujourd’hui “îlot de chaleur urbain”. L’îlot de chaleur urbain est un effet de dôme thermique, créant une sorte de microclimat urbain où les températures sont significativement plus élevées : plus on s’approche du centre de la ville, plus il est dense et haut, et plus le thermomètre grimpe (notre-planete.info, 2022).
En définitive, l’étalement urbain, la perte de couvert forestier, l’imperméabilisation des sols, l’utilisation de matériaux emmagasinant la chaleur, l’émission de chaleur et de gaz à effet de serre causée par les activités humaines, de même qu’une morphologie urbaine avec des quartiers denses et des rues étroites, sont des facteurs qui causent des îlots de chaleur urbains. La hausse des températures dans un contexte de changements climatiques est susceptible d’exacerber les effets des îlots de chaleur urbains. En effet, la Hausse des températures entraîne l’augmentation du niveau de consommation de l’énergie utiliser pour la climatisions des lieux de travail et d’habitation, qui à son tour amplifie le niveau chaleur rejetée à l’extérieur des bâtiments. Il se crée alors un cercle vicieux qui surchauffe les villes.
LES IMPACTS NEGATIFS DES ILOTS DE CHALEUR URBAINS
Selon le Docteur Maïmouna YMBA, ce phénomène n’est pas sans conséquence sur la santé des populations. La superposition des images satellites des zones de forte concentration de chaleur et les données d’enquêtes épidémiologiques auprès des personnes âgées, des enfants de moins de cinq ans et des personnes travaillant en extérieur, a montré une influence néfaste des ICU sur la santé des populations. Les îlots de chaleur urbains peuvent aussi avoir des impacts néfastes sur l’environnement (détérioration de la qualité de l’air, etc.), et sur le niveau de consommation de l’électricité pour la climatisation qui a son tour augmente le niveau des émissions de GES et du réchauffée t de l’air ambiant.
· Diminution du bien-être des habitants et augmentation de la mortalité
Les villes accueillent plus de la moitié de la population mondiale. Certes, tous les citadins ne vivent pas à proximité d’îlots de chaleur, mais ils sont nombreux ceux qui subissent les effets négatifs de ces journées et nuits trop chaudes. Car ces vagues de chaleur amènent au mieux un inconfort général et des nuits blanches, et au pire peuvent être la cause de décès.
· Perte de la biodiversité et diminution de la qualité de l’air et de l’eau
Les îlots de chaleur et l’absence de rafraîchissements nocturnes répétés créent un stress thermique, qui fragilise les humains les plus vulnérables. Mais pas uniquement : ces chaleurs impactent également la flore et la faune, et affectent négativement la qualité de l’air et de l’eau.
· Perte d’attractivité des villes
Enfin, les villes qui ne prendront pas des mesures fortes afin de réduire les effets des îlots de chaleur perdront considérablement en attractivité ces prochaines décennies.
· Augmentation des besoins énergétiques pour la climatisation
Les îlots de chaleur impliquent également une augmentation de l’utilisation de climatisation qui permet de moins subir les effets de ce réchauffement mais qui contribue en même temps à renforcer ces îlots de chaleur.
COMMENT REDUIRE LES EFFETS DES ILOTS DE CHALEUR URBAIN (ICU) POUR FAIRE FACE A LA HAUSSE GLOBALE DE LA TEMPRATURE DUE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
D’ici 2050, la population urbaine devrait croître de 2,5 milliards, en particulier dans des zones “particulièrement exposées” au changement climatique, sur les littoraux, en Afrique, en Asie et dans de petites îles. La réduction des effets des îlots de chaleur urbains (ICU) dans les villes est un défi majeur pour les planificateurs, les élus et tous les acteurs de la construction et de la gestion urbaine pour que les villes ne deviennent pas invivables. Comment arriver à créer des îlots de fraîcheur ?
VEGETALISER LES VILLES ET DIMINUER L’IMPERMEABILISATION DES SOLS
Le meilleur moyen de diminuer l’effet d’îlot de chaleur urbain, et favoriser l’abaissement des températures tant diurnes que nocturnes, difficilement soutenables pendant les périodes de grande chaleur, est de végétaliser les villes et diminuer l’imperméabilisation du sol. L’Observatoire des villes vertes rappelle que la végétalisation de la ville reste le moyen le plus simple, pérenne et efficace pour lutter contre la chaleur excessive.
Planter des arbres va apporter de l’ombre et de la fraîcheur tout en absorbant une grande quantité d’énergie solaire. Les arbres assurent en effet une régulation naturelle des températures. En outre, ils purifient l’air, l’eau et les sols, et assurent une évacuation et un filtrage naturels des eaux pluviales. La végétalisation et « renaturation » peut aussi se faire sur les murs et les toitures, même si beaucoup pensent que cela “fait sale”, par exemple en laissant le lierre pousser. Les étendues d’eau participent également à la régulation thermique des villes. A titre d’exemple, la Seine qui traverse Paris, rafraîchit jusqu’à 30 mètres au-delà de ses rives ; mais son impact est souvent annihilé par la bétonisation des berges.
Alors que les conséquences de l’îlot de chaleur urbain sont de plus en plus marquées et insoutenables, les aménageurs et promoteurs continuent de construire des lotissements toujours plus denses, avec de moins de moins d’espaces verts et de jardins, pour multiplier leurs revenus profitant ainsi de l’indifférence, voire la complaisance des élus locaux. En outre, les jardins des nouveaux lotissements sont de plus en plus petits et de plus en plus artificiels.
En effet, le peu d’espace vert privé est quasi systématiquement imperméabilisé : gravillons, pelouse synthétique, goudron, terrasse… La végétation spontanée n’est pas la bienvenue et de nombreuses haies chez les particuliers sont également détruites pour être remplacées par des murs.
Toutefois, les changements climatiques affectent les végétaux (chaleur, insectes); il importe donc de planter plus d’arbres, mais également de bien les choisir afin de limiter les effets délétères sur la santé et les risques de perte de canopée reliée aux différents aléas.
VEGETALISER LES MURS ET TOITURES
Les mesures de verdissement amènent des gains de fraîcheur élevés en milieu urbain. La végétation, lorsqu’utilisée sur les toitures ou les murs des bâtiments, améliore leur isolation, en les gardant frais. Les toits verts aident à réduire l’ICU en offrant une couche d’isolation supplémentaire et en absorbant la chaleur du soleil. Ils peuvent également aider à réduire la pollution de l’air et à améliorer la qualité de l’eau.
Les bâtiments existants et les nouvelles constructions doivent être adaptés aux changements climatiques. Le recours à la climatisation ne doit pas être considéré comme l’unique moyen pour rafraîchir le domicile ; des solutions complémentaires doivent être explorées. Les enjeux liés à la chaleur urbaine sont à considérer dans l’architecture des bâtiments (p. ex., architecture bioclimatique) et dans l’urbanisme (p. ex., morphologie urbaine).
LES TRAMES BLEUES ET VERTES
Les espaces bleus (lagunes, lacs, étangs) peuvent agir alternativement comme une source de chaleur ou de fraîcheur en milieu urbain. Ceux ayant une grande surface se révèlent en général plus efficaces en termes de fraîcheur, tout comme lorsque l’eau circule (fleuve rivière) ou lorsque des technologies basées sur l’évaporation de l’eau sont utilisées (fontaine). L’utilisation d’infrastructures vertes dans la gestion des eaux pluviales amène de nombreux bénéfices : atténuation des îlots de chaleur urbains, résilience aux inondations, amélioration de la qualité des eaux, etc.
En général les trames bleues et vertes visent à préserver et à améliorer la biodiversité et les écosystèmes naturels dans les zones urbaines. Les trames bleues se réfèrent aux cours d’eau, lacs, étangs et autres zones humides, tandis que les trames vertes se réfèrent aux espaces verts, aux parcs, aux forêts urbaines et aux couloirs de biodiversité. Le rôle des trames bleues et vertes dans la planification urbaine est multiple :
‐ Préserver la biodiversité : les trames bleues et vertes fournissent des habitats pour les plantes et les animaux, aidant ainsi à préserver la biodiversité dans les zones urbaines. Elles peuvent également fournir des zones de nidification et de reproduction pour les oiseaux et les insectes ,
‐ Améliorer la qualité de l’air et de l’eau : les trames vertes peuvent aider à réduire la pollution de l’air en absorbant les gaz à effet de serre et les polluants atmosphériques, tandis que les trames bleues peuvent aider à filtrer les polluants et à améliorer la qualité de l’eau ;
‐ Améliorer la santé et le bien-être : les espaces verts et les cours d’eau peuvent fournir des espaces de détente pour les habitants, réduisant ainsi le stress et améliorant la santé mentale ;
‐ Prévenir les inondations : les trames bleues peuvent aider à prévenir les inondations en fournissant des zones de rétention d’eau naturelles, absorbant l’eau de pluie et réduisant ainsi la quantité d’eau de ruissellement dans les zones urbaines ;
‐ Favoriser la connectivité écologique : les trames bleues et vertes peuvent aider à relier les écosystèmes naturels dans les zones urbaines, créant ainsi des corridors de biodiversité pour les espèces animales et végétales.
DES MATERIAUX DE CONSTRUCTION INNOVANTS
Les matériaux perméables permettent un rafraîchissement urbain en favorisant l’infiltration de l’eau dans le sol et l’évaporation, alors que les matériaux à albédo élevé favorisent le rafraîchissement des villes en prévenant l’absorption du rayonnement solaire. Ces matériaux qui réfléchissent la lumière du soleil pour réduire l’absorption de la chaleur par les bâtiments.
La technologie “Cool Roofs” (ou toits frais) basée sur les surfaces blanches, est une technique efficace pour réfléchir la lumière du soleil et réduire la chaleur à l’intérieur des bâtiments et aide à la réduction des consommations d’énergie liées à la climatisation.. Les surfaces blanches reflètent une grande partie de la lumière du soleil, ce qui les rend efficaces pour réduire la chaleur dans les bâtiments et les espaces extérieurs (routes, parkings, etc.).
UTILISATION DE LA PLANIFICATION URBAINE POUR REDUIRE L’ICU
Les villes peuvent utiliser la planification urbaine pour réduire l’ICU en favorisant les zones piétonnes et cyclables, en favorisant la circulation d’air dans les plans d’aménagement (les couloirs d’air peuvent être utilisés pour créer des voies de circulation naturelles pour l’air frais, en permettant à la brise de mer ou aux vents dominants de circuler plus facilement dans les zones urbaines) et en favorisant la construction de bâtiments plus efficaces sur le plan énergétique.
QUELQUES PROJETS QUI PERMETTENT DE REDUIRE LES EFFETS DES ILOTS DE CHALEUR URBAIN (ICU) DANS LES VILLES SITUEES DANS LA ZONE TROPICALE
· DE LA GESTION DE L’EPIDEMIE D’EBOLA A LA PLANTATION D’UN MILLION D’ARBRES A FREETOWN DANS SA VILLE ; LE PROJET DE DEVELOPPEMENT DURABLE DE LA MAIRE YVONNE AKI-SAWYERR
La nouvelle Maire de la Ville de Freetown et Capitale du pays, élue en 2018, s’est démarquée avec une initiative forte. Cette initiative phare a été de nommer une responsable de la chaleur avec pour mission de lutter contre les effets des températures extrêmes. Le titre de l’Offre d’emploi,« Title: Chief Heat Officer ». Le responsable de la chaleur sera chargé de diriger et de coordonner les efforts de protection contre la chaleur existants et de lancer de nouveaux travaux qui réduisent les risques et les impacts du stress thermique et de la chaleur extrême pour les communautés de Freetown.
La Maire a été marquée par un évènement tragique survenu à Freetown. En 2017, Sierra-Leone a connu un glissement de terrain massif, ayant coûté la vie à près de 1000 personnes en l’espace de quelques minutes. Un triste événement qui a affecté Madame Yvonne Aki-Sawyerr. Depuis plusieurs années, le pays est victime des effets du changement climatique, en raison de la déforestation grandissante au cours des dernières années liées à l’urbanisation.
Freetown, située à l’extrémité maritime d’une péninsule montagneuse fortement boisée, est la capitale de la Sierra Leone et domine son paysage urbain, économique et social. Chaque année, plus de 100 000 personnes à la recherche d’un emploi se déplacent vers la ville, et les franges urbaines continuent de s’enfoncer dans les étendues forestières escarpées à l’extérieur de la ville. En conséquence, un équivalent de 12 % de la canopée totale de la région a été perdue par an entre 2011 et 2018. La perte du couvert végétal affecte directement les zones de captage des réserves d’eau, exacerbant les risques de glissements de terrain, d’inondations et d’érosion côtière. La perte de la couverture arborée et végétale menace également la biodiversité. Dans un contexte d’expansion démographique et d’urbanisation rapide, le conseil municipal de Freetown a élaboré un plan visant à planter et à faire pousser un million d’arbres de 2018 à 2022, ce qui permettrait d’augmenter de 50 % la couverture végétale de la ville. Le projet présente des avantages pour l’écosystème, notamment la réduction du stress thermique, l’amélioration de la qualité de l’air et de l’eau, et la réduction des risques d’inondation et de glissement de terrain.