« … les maisons à Djenné sont aussi grandes que celles des villages en Europe. La plupart ont un étage … elles sont toutes à terrasse, n’ont pas de fenêtres à l’extérieur, et les chambres ne reçoivent d’air que par une cour intérieure. Leur unique entrée (…) est fermée par une porte en planches assez épaisses…, cette porte ferme en dedans avec une double chaîne enfer, en dehors avec une serrure en bois fabriquée dans le pays. Les chambres sont toutes longues et étroites, les murs, surtout à l’extérieur, sont très bien crépis en sable, car il n’y a pas de chaux. Chaque maison a un escalier pour conduire par la terrasse (…). Les rues ne sont pas alignées, mais assez larges pour un pays où l’on ne connaît pas l’usage des voitures ; on peut y passer huit à neuf personnes de front ; elles sont très propres et balayées tous les jours… ». René Caillé, Djénné:
« Djenné est réellement une ville civilisée (…) la ville la plus riche et la plus commerçante que je n’ai jamais vue au Soudan et qui répond aux normes de ville européenne ». Colonel Archinard, 1893.
LES VILLES AFRICAINES PRECOLONIALES (AVANT 1850); PERIODE DE PROSPERITE DE LA CIVILISATION URBAINE AFRICAINE ; UN HERITAGE DISPARU
Les villes ont toujours existé en Afrique. L’existence de villes importantes et prospères est fort antérieure à la période coloniale. On peut l’affirmer, à travers l’histoires des empires et royaumes tels le Ghana, le Mali, le Songhaï ou le Benin. L’ancienneté et la permanence du fait urbain est une réalité dans un continent que l’on imagine volontiers vouées depuis toujours à une vie agricole ou pastorale presque exclusive.
Dans toute civilisation, l’apparition du fait urbain constitue un moment capital car elle coïncide généralement avec l’émergence de nouvelles formes d’organisation sociale, politique, culturelle et économique, ainsi que la transformation de l’environnement bâti et des modes de vie. La ville est le point de rencontre des énergies humaines les plus dynamiques, son éclosion marque une étape majeure dans l’évolution d’un peuple.
L’évolution des villes en Afrique au cours de l’histoire a été marquée par des périodes de prospérité (la période précoloniale), de colonisation et de la période postcoloniale, caractérisée par le développement important et accéléré de l’urbanisation avec des défis importants à relever pour assurer des villes durables, résilientes, justes et prospères pour tous.
L’Antiquité : L’Afrique a connu de nombreuses civilisations antiques, dont certaines ont laissé des traces de villes importantes. Parmi les villes les plus connues figurent Carthage en Tunisie et Alexandrie en Égypte. Ces villes étaient des centres commerciaux importants et des foyers de la culture et de l’art.
Le Moyen Âge : Avec l’Empire du Ghana (7e – 13e siècles), l’Empire du Mali (13e – 15e siècles), l’Empire songhaï (15e – 16e siècles), l’Empire éthiopien (12e – 17e siècles), L’Empire du Grand Zimbabwe, L’Empire du Kongo, etc. De nombreuses villes en Afrique de l’Ouest et de l’Est étaient des centres commerciaux prospères. Les villes comme Koumbi Saleh au Ghana, Gao, Tombouctou et Djenné au Mali, Kilwa en Tanzanie et Mogadiscio en Somalie, la ville de Great Zimbabwe dans l’actuel Etat du Zimbabwe, étaient des centres de commerce et de savoir. Ces villes ont dû leur naissance et leur croissance à l’existence de courants commerciaux entre régions à productions complémentaires ; ainsi s’expliquent dans une large mesure les caractéristiques de leur localisation. Elles se sont concentrées surtout dans la zone soudano-sahélienne, en position d’intermédiaire entre l’Afrique méditerranéenne et l’Afrique guinéenne, et sur la côte orientale du continent en bordure d’un océan indien que sillonnaient les navires des marchands arabes.
Selon les écrits de l’explorateur Allemand Barth, entre 1851-1855, en Afrique de l’Ouest, on observait une vie urbaine remarquable, avec 50 agglomérations de plus de 4.000 habitants dans l’émirat de Katsena et 28 villes murées dans celui de Kano, dont la capitale comptait 30.000 habitants permanents et en attirait autant pendant la grande saison commerciale. A l’autre extrémité de l’actuelle Nigéria, les remous de l’expansion peuhle entraînèrent l’éclatement de l’empire Yorouba mais ses habitants se regroupèrent en cités bientôt florissantes. Bowen, en 1853, y compta 3 villes de plus de 60.000 habitants (Llorin, Ibadan et Abéokouta) et 6 de plus de 20.000. Dans chaque cas, l’artisanat local alimentait un commerce important, dirigé vers la Méditerranée pour les sujets Haoussas et Peuhls, vers le Golfe du Bénin pour les Yoroubas.
Selon Max Weber, le seul critère important de l’urbanisation, est le fait qu’en ville lieu économique, tout le monde ne vit pas de l’agriculture. En découle le caractère hétérogène de la population : société ouverte sur l’extérieur, ce qui a impliqué commerce, marchés, échange d’une production non agricole (artisanale) contre les vivres nécessaires à la survie de l’agglomération. Trois conditions ont été nécessaires à l’urbanisation :
– La possibilité d’un surplus de production agricole servant à nourrir les non producteurs. Jusqu’à l’époque contemporaine et la révolution technologique des transports intercontinentaux, une ville ne pouvait se concevoir sans arrière-pays agricole.
– Le commerce impliquait la présence d’une classe de marchands spécialisés dans la collecte et la redistribution des vivres. Il n’y eut jamais de ville sans marché.
– Tout ceci impliquait la présence d’un pouvoir politique, c’est-à-dire d’une classe de dirigeants contrôlant l’utilisation du surplus par les non productifs.
Comment ces villes africaines sont-elles planifiées à cette époque où de puissants royaumes se sont constitués et ont rayonné dans le monde ? Celui du Mali par exemple était connus jusque du monde islamique, de l’Europe et de l’Asie. Au XIVe siècle, le royaume du Mali, maîtresse de ses ressources était l’un des plus importants exportateurs d’or tout comme le royaume du Ghana avant lui et de Songhaï après.
L’absence de sources écrites de ces sociétés africaines explique cette situation. Toutefois, plusieurs auteurs et chercheurs qui ont étudié l’histoire de la planification des villes africaines avant la colonisation permettent de mieux comprendre l’organisation spatiale, sociale et économique des villes africaines avant l’arrivée des colons européens. On peut citer entre autres, l’auteur RICHARD W. Hull, ‘historien français Georges Hardy, etc.
Le seul véritable héritage de cette période de l’âge d’or urbain en Afrique est le recours aux techniques de construction en terre ou avec les matériaux locaux, en opposition aux matériaux importés qui se sont imposés pendant la période coloniale. L’Architecte Burkinabé Diébédo Francis Kéré incarne ce mouvement de retour aux constructions en terre, jugées plus écologiques et mieux adaptées aux conditions climatiques locales que les constructions en matériaux modernes.
CONSTRUCTIONS EN TERRE ; METHODES DE CONSTRUCTION DURABLE ET ECOLOGIQUE
Le Burkinabé Diébédo Francis Kéré a reçu le 15 mars 2022 le prix Pritzker 2022, la plus haute distinction du monde de l’architecture. C’est la première fois qu’un Africain est récompensé de ce prix financé par la fondation Hyatt. Kéré, 57 ans, né au Burkina Faso mais basé à Berlin (Allemagne), s’est fait connaître pour son architecture écologique : les organisateurs du prix soulignent ainsi son « utilisation intelligente de matériaux locaux pour s’adapter et répondre au climat naturel ».
👍La Technique de la Voûte Nubienne. La voûte nubienne est un style de construction de toit en dôme, qui remonte à plusieurs siècles. Elle est caractérisée par l’utilisation de briques de terre crue (Le Banco) disposées en forme de voûte, sans utiliser de coffrage, de tôle, de bois ni de métal pour soutenir le toit.
L’origine de la voûte nubienne remonte à la civilisation de la Nubie antique, située dans l’actuel Soudan et l’Égypte. Les Nubiens utilisaient des techniques de construction similaires pour créer des bâtiments en briques de terre crue, y compris des voûtes en forme de dôme pour couvrir les chambres intérieures de leurs maisons.
Aujourd’hui, la voûte nubienne est considérée comme une méthode de construction durable et écologique, qui offre une alternative viable aux méthodes de construction modernes plus coûteuses et moins respectueuses de l’environnement.
👍Le Bloc ou Brique de Terre Comprimé et Stabilisée (BTCS). Le Bloc ou la Brique de Terre Comprimé (BTC) est un matériau de construction fabriqué à partir de terre crue, comprimée à haute pression dans un moule pour former une brique ou un bloc solide. La terre utilisée peut être de la terre argileuse, sableuse ou limoneuse, et elle peut être stabilisée avec diverses techniques (ajout de 6% à 8% de ciment, de la chaux ou du bitume, etc.) pour améliorer ses propriétés mécaniques et sa durabilité. Les blocs à maçonner en terre crue comprimée stabilisée BTC/S permettent la réalisation de tous types de parois verticales : murs, cloisons, doublages, parements, etc..
Les BTC sont un matériau de construction durable et écologique, qui présente de nombreux avantages par rapport aux matériaux de construction traditionnels. Tout d’abord, la terre utilisée est un matériau naturel et renouvelable, qui est souvent disponible localement, réduisant ainsi les coûts et les émissions liées au transport. De plus, le processus de fabrication des BTC ne nécessite pas d’énergie importante, comme c’est le cas avec la production de matériaux comme le béton ou l’acier, ce qui réduit les émissions de gaz à effet de serre.
Les BTC sont également très résistants et durables, avec une longue durée de vie pouvant aller jusqu’à plusieurs décennies. De plus, les BTC offrent une isolation thermique et acoustique supérieure par rapport aux matériaux de construction traditionnels, tels que le béton ou la brique cuite.
LES VILLES COLONIALES ET L’HERITAGE DES REGLES ET REGLEMENTATIONS MAIS AUSSI DE SITES DIFFICILES A AMENAGER. LA PERIODE DE LA DOMINATION EUROMPEENE
Mais la plupart de ces empires et royaumes ainsi que les villes qu’ils ont créé, après des siècles de prospérité et de rayonnement, subissent soit une lente décadence, soit une destruction brutale. La disparition de ces empires a laissé la possibilité à des sociétés qui expérimentaient un développement technologique et économique plus avancées de dominer le continent. Ainsi, pendant quatre siècles, le continent africain a subi, à des degrés divers, différents modes de domination de la part des nations européennes. Le commerce triangulaire est la première forme de domination. Mais l’avènement du capitalisme industriel va entraîner le déclin de l’esclavage. En effet, en rendant les travailleurs salariés plus rentables et en stimulant la concurrence entre les entreprises, le capitalisme industriel a rendu plus audible les revendications des mouvements abolitionnistes et visibles les révoltes des esclaves pour entrainer le monde progressivement à l’abolition de l’esclavage.
Mais une autre forme de domination va remplacer la première pendant plusieurs décennies ; La colonisation. La naissance des impérialismes au XIXe siècle en Europe permet la formation de nations qui se constituent peu à peu en empires coloniaux et des zones d’influence : leur dessein consiste à se partager le reste du monde afin de procéder à l’exploitation des ressources naturelles, à la vente des produits manufacturés, et au placement de capitaux. En vue de mettre un terme aux rivalités entre impérialismes rivaux sur le continent africain, la Conférence de Berlin (1884-1885), qui réunit les grandes puissances de la fin du XIXe siècle, fixe les principes du partage du “gâteau africain”.
Lorsque fut achevé le partage, les nations européennes se trouvèrent en possession de vastes territoires qu’il convenait d’administrer et d’exploiter. Elles ne pouvaient le faire qu’en multipliant les “cercles”, les régions et les districts, établissant ainsi un réseau de chefs-lieux où furent mis en place les représentants des autorités centrales. C’est pour l’essentiel ce réseau qui est à l’origine du semis urbain actuel, les lieux de concentration et de distribution des productions et lieux de résidence des représentants de l’administration.
Plusieurs types de configurations urbaines se sont imposées pour faciliter les échanges avec les métropoles. Il s’agit :
– Ports de mer. L’importance des routes maritimes est éclatante : de nombreuses villes sont des ports de mer, ce qui montre à quel point leurs habitants vivent du commerce avec l’Outre-Mer ;
– Les presqu’îles, plus facilement que les îles, ont permis à des ports de devenir des villes importantes : Dakar, Luanda, Cape Town, Durban, par exemple. Ces villes Ports de mer et situées sur des presqu’îles sont confrontées à des difficultés d’approvisionnement en eau potable avec l’augmentation de la population ;
– Villes de l’Intérieur. Les villes filles de fleuve telles que Léopoldville, Khartoum ou encore Brazzaville, Bamako, etc. Les réseaux de chemin de fer ont été un élément clé du développement des villes intérieures pendant la colonisation en Afrique. Ces lignes de chemin de fer ont été construites pour relier les zones productrices de ressources naturelles aux ports d’exportation. Les colons européens ont souvent apporté avec eux des travailleurs et des commerçants d’autres régions, créant ainsi une population diversifiée et cosmopolite dans les villes intérieures. Les villes coloniales qui ont prospéré grâce aux réseaux de chemin de fer sont encore aujourd’hui des centres économiques importants dans de nombreux pays africains, malgré le développement important des routes au détriment des rails après les indépendances.
LE DEVELOPPEMENT DES VILLES POST-COLONIALES MODERNES A CROISSANCE DEMOGRAPHIQUES ET SPATIALES RAPIDES, DANS UN CONTEXTE DE RARETE DE RESSOURCES FINANCIERES ET DANS MONDE EN TRANSITIONS
L’urbanisation s’est accélérée en Afrique aux lendemain des indépendances de la plupart des colonies survenues en 1960. En effet, entre 1958 et 1966, soit en moins de 10 ans, le taux d’urbanisation est passé de 12 % à 17 % au Ghana, de 8 % à 20 % au Congo-Kinshasa, de 6 % à 14 % en Angola, de 6 % à 18 % au Cameroun, etc.. Quoique ralentie depuis le début de la décennie 1980, la croissance moyenne annuelle de la population urbaine est de +4,5 % selon l’ONU-HABITAT, plus soutenue qu’en Amérique latine et en Asie et demeure l’une des plus élevées du monde.
En outre, selon Oxford Economics, les principales villes africaines contribueront au PIB du continent à hauteur 1,7 billion d’ici à 2030. Plus que jamais, les villes africaines sont des lieux de pouvoir, de construction à la fois économique, sociale et politique.
C’est en ville désormais que va se façonner l’avenir du continent. Avec une urbanisation rapide et croissante, il est essentiel que les villes africaines soient bien planifiées, gérées de manière efficace et durables pour répondre aux besoins des citoyens, promouvoir une croissance économique soutenue et protéger l’environnement.