DE LA CRISE DE LA VILLE INDUSTRIELLE A LA CRISE DE LA VILLE NON DURABLE
« L’emploi de la machine a bouleversé les conditions du travail. Il a rompu un équilibre millénaire, portant un coup fatal à l’artisanat, vidant les campagnes, engorgeant les villes ……. » Extrait de la Charte d’Athènes
Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, le concept de Développement Durable s’est imposé comme un nouvel impératif de l’action publique et plus spécifiquement de l’action publique locale, notamment urbaine et territoriale (agenda 21 local), touchant ainsi les conceptions et les pratiques de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Ce changement radical du concept de développement s’est confirmé avec l’adoption par l’ONU en Septembre 2015 de l’agenda 2030, ou les Objectifs de Développement Durable (ODD) avec un objectif spécifique dédié à la ville et aux établissements humains, l’objectif n°11. Tout comme le modèle urbain de Le Corbusier et du CIAM qui avait pour objectif d’adapter la ville aux exigences de la modernité, à la suite de l’industrialisation et des avancées technologiques des premières décennies du XXe, le développement durable peut-il renouveler le concept de l’aménagement et l’urbanisme ? Le développement durable peut-il revitaliser l’urbanisme ? La planification urbaine et territoriale peut-elle être renouvelée par le développement durable ?
La question du renouvellement des pratiques planificatrices s’est imposée dans les pays développés à partir du moment où la planification ne parvient pas à réguler les mutations urbaines liées à l’accélération de la vitesse des déplacements quotidiens (dû à l’usage de l’automobile individuelle) à la croissance du revenu des ménages, et à la faiblesse des politiques de financement du logement pour faire face à la demande des ménages modestes. Ces mutations se traduisent notamment par la périurbanisation, qui se traduit par la diffusion de l’habitat individuel jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres des cœurs d’agglomération et par l’émergence de vastes zones d’activité qui accueillent emplois, grands équipements et centre commerciaux. Articulées sur le réseau routier rapide, ces « pôles nouveaux » fonctionnent comme des « edge-cities » qui viennent concurrencer le centre-ville historique, donnant naissance à un cœur d’agglomération multipolaire. Ces mutations s’accompagnent d’un accroissement du nombre et de la longueur moyenne des déplacements en voiture. Une très forte consommation d’espace naturel et agricole. Une spécialisation socio-spatiale croissante des territoires, qui traduit la liberté de choix du lieu d’habitat offerte par la mobilité facilitée, mais aussi une concentration de la pauvreté accrue par le déficit de logements sociaux. Une multiplication du nombre d’acteurs impliqués dans la gestion des villes : l’extension géographique des aires urbaines augmente le nombre de communes et de structures intercommunales concernées et la nature des problèmes à résoudre (logements, déplacements, développement économique) interpelle les autres niveaux de collectivité territoriale (Département, Région) et l’Etat. Un affaiblissement du pouvoir de régulation de la sphère publique dont l’aire de compétence reste cantonnée à l’intérieur de limites administratives (« territoires institutionnels ») alors que les acteurs privés (ménages, entreprises) utilisent la mobilité facilitée pour élargir leurs choix de localisation à l’échelle du « territoire fonctionnel » de l’aire urbaine.
Dans un contexte d’urbanisation rapide et de capacités financières limitées, les pays en voie de développement et en Afrique au Sud du Sahara, n’ont pu éradiquer les quartiers précaires, et ce, depuis leur indépendance. Au contraire, ce type d’habitat prolifère avec l’augmentation de la population urbaine et risque de devenir un mode d’urbanisation dominant. Le développement des bidonvilles est la conséquence directe de défaillances de planification urbaine et d’un coût trop élevé du logement.
Selon l’Agence française de développement, le « quartier précaire » est un quartier qui cumule toutes les formes d’exclusion : l’exclusion urbaine, c’est-à-dire des quartiers mal desservis et mal raccordés aux zones d’emploi. Des quartiers d’exclusion sociale, mais aussi d’exclusion foncière, où les habitants ont peu ou pas accès à la propriété foncière. L’exclusion du système de fiscalité et enfin l’exclusion environnementale. Ainsi, parfois faute de place, les gens choisissent des zones précaires pour s’installer, comme le bord des rivières, ou le bord des falaises ; généralement les zones non constructibles que les pouvoirs publics sont incapables de protéger de toute occupation y compris les zones à risques et autres zones côtières (bord de mer, exposée au risque d’érosion) ou les zones à protéger etc.
De plus, le développement physique de ces villes s’accompagne d’une extension spatiale continue comme dans les pays développés et d’une très forte consommation d’espace naturel, de terres agricoles et de plusieurs hectares de cultures de rentes.
A partir du milieu des années 1990, ces évolutions commencent à être perçues comme non-durable. Les premières réactions des experts ont été de chercher à améliorer la charte d’Athènes en ajoutant aux quatre fonctions initiales de la ville, Habiter, Travailler, Circuler et se recréer, la fonction « politique ». Selon la charte d’Athènes, « L’architecture préside aux destinées de la cité », il a donc un rôle déterminant et est à la base du renouveau de la ville (et de la vie). La dimension politique change radicalement ce rôle de premier responsable de la planification de la ville à celui de facilitateur ou modérateur et fait intervenir tous les acteurs de la gestion urbaine ; Etat, Elus locaux, notamment les Maires, Société privés, Société Civile, etc. Elle privilégie les notions de participation, d’inclusion, de bonne gouvernance et de démocratie.
INTÉGRATION DE LA DIMENSION « POLITIQUE » DANS LA CHARTE D’ATHENES
Les trois versions de l’approche politique dans les modèles urbains renvoient (i) à l’application de la « Nouvelle Gestion Publique » (New Public Management) dans la politique et l’administration existante de la ville ; (ii) à l’application des principes de « Bonne Gouvernance » dans les pratiques de collaboration entre tous les parties intéressées dans la gestion de la ville à l’intérieur et à l’extérieur de l’administration urbaine/locale ; (iii) et à l’incorporation de tous les habitants d’une « Ville inclusive » dans la sphère publique, où les décisions collectives sont prises pour s’assurer que toutes les préférences et tous les intérêts sont pris en compte et que les services publics sont accessibles à tous.
Toutefois, les interrogations suscitées par les mutations urbaines et la nécessité de répondre aux défis écologiques, sociaux, physiques posés par la ville ont tout naturellement fait de celle-ci un terrain d’application privilégié du développement durable.
C’est dans ce cadre que Sommet de Rio de Janeiro en 1992 a adopté L’Agenda 21 local. L’Agenda 21 local (A21L) constitue une déclinaison, au palier local, de l’Agenda 21 adopté à ce Sommet de l’ONU. Il s’agit d’un programme d’actions dans lequel les citoyens d’une communauté précisent leurs objectifs de développement durable et la manière de les atteindre.
DES AGENDA 21 LOCAUX A L’AGENDA 2030 OU DE LA PRISE EN COMPTE DES TROIS (3) DIMENSIONS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE A L’INCLUSION TERRITORIALE : NE LAISSER AUCUN TERRITOIRE DE COTE
Selon l’ICLEI (2002), l’association des gouvernements locaux/régionaux et nationaux pour un développement durable ; un A21L « est un processus participatif à multiples intervenants visant à atteindre les objectifs d’Action 21 à l’échelon local par l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan stratégique à long terme qui répond aux inquiétudes prioritaires locales quant au développement durable ».
Un Agenda 21 local, c’est une démarche participative par laquelle un territoire se définit une stratégie de développement durable qui débouche sur un plan d’actions concrètes qui doit être périodiquement mis à jour. Engager le territoire vers le développement durable est l’objectif ultime de l’Agenda 21 local.
- DES VILLES A LA FOIS ÉQUITABLE, VIABLES ET VIVABLES
Un agenda 21 local (A21L) vise à transcrire au plan local les principes du développement durable tels qu’ils figurent dans le rapport Brundtland de 1987 : un développement économique qui soit compatible avec la préservation de l’environnement et qui cherche à promouvoir plus d’équité sociale.
Mais, les initiatives d’élaboration et de mise en œuvre d’un Agenda 21e siècle local (A21L) sont réalisées sur une base volontaire ou sur financements des agences de l’ONU, en l’absence de cadre théorique légal formel. L’Agenda 21 local n’a pas cette portée réglementaire.
Il revient à chaque pays de réformer ses documents d’urbanisme pour prendre en compte les enjeux du développement durable.
Pour le moment, ces A21L cohabitent avec d’autres documents de planification très structurants, des outils qui sont encadrés par les Lois sur l’aménagement et l’urbanisme et qui sont opposables au tiers.
La méthode est celle de la démarche de projet qui suggère différentes étapes :
- Sensibilisation des acteurs ;
- Diagnostic partagé ;
- Élaboration d’un plan d’actions s’appuyant sur des propositions des différents types d’acteurs ;
- Mise en œuvre du plan ;
- Evaluation à l’aide d’indicateurs dont il faut se doter ;
- Retouches permanentes au plan d’action en fonction d’une stratégie dite d’amélioration continue.
Cette méthode suggère également une échelle stratégique : celle-ci renvoie au « territoire dans son ensemble ». Cette échelle permet l’agrégation d’acteurs par son aspect multithématique, et facilite la prise en compte intégrée des enjeux économiques et environnementaux. C’est l’échelle qui permet d’envisager les différentes stratégies de territoire et la planification (exemple : région, Commune, ville, etc.) où les problèmes peuvent être appréhendés et le solutions adéquates proposées. Pour les villes, il s’agit de chercher à réduire l’étalement urbain en limitant la consommation des espaces naturels, mais aussi des espaces agricoles (promotion de l‘agroécologie, etc.). Il s’agit aussi de promouvoir des villes compactes sobres en énergies et en émissions de CO2 et offrant des services de base à tous et à moindre coût. De promouvoir l’optimisation de l’usage des ressources naturelles par l’adoption et la mise en œuvre d’actions issues de l’économie circulaire et de la fonctionnalité, etc. Mais aussi de renforcer l’inclusion sociale et la mixité et l’éradication des quartiers précaires en milieu urbain. Et enfin, en tant que moteur du développement et de la réduction de la pauvreté, l’urbanisation peut apporter la prospérité à de nombreuses régions ; il est donc urgent que les villes planifient et renforcent les synergies entre les zones urbaines et rurales.
Elle suppose aussi, une échelle Opérationnelle. C’est l’échelle par laquelle passe l’action, où est apprécié la traduction spatiale des principes de durabilité, où est mise en œuvre le plan d’actions. Le territoire de projet sera alors conditionné par les stratégies menées à l’échelle territoriale.
L’Agenda 21 Local (A21L) était le plan d’action décidé au sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992. En 2015, dans la perspective de l’Agenda 2030, les Objectifs de développement durable (ODD) furent adoptés. Ils renouvellent tant la feuille de route de l’Agenda 21 que du plan de Rio de Janeiro. De ce fait, l’Agenda 21 est aujourd’hui un outil de mise en œuvre de ces ODD.
Parallèlement à l’élaboration des Agenda 21 locaux à l’initiatives de collectivités locales à travers le monde, les Etat à l’Instar de la France entreprennent la réforme de leurs documents d’urbanisme. Ainsi, La loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU, décembre 2000) instituent le Plan Local d’urbanisme (PLU) et le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) avec une innovation majeure : il ne s’agit plus seulement de réguler l’occupation des sols mais d’élaborer un Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD). C’est donc toute la dimension territoriale et spatiale des stratégies communales et intercommunales qui doit être désormais abordée dans la perspective du développement durable.
Pour accompagner les Etats dans cette réforme, l’ONU-HABITAT a élaboré des documents d’aide à la réforme des documents de planification urbaine et territoriale pour prendre en compte les enjeux de développement durable. Il s’agit entre autre des LIGNES DIRECTRICES INTERNATIONALES SUR LA PLANIFICATION URBAINE ET TERRITORIALE
- LIGNES DIRECTRICES INTERNATIONALES SUR LA PLANIFICATION URBAINE ET TERRITORIALE DE L’ONU-HABITAT
Les lignes directrices ont été approuvées par le Conseil d’administration d’ONU-Habitat à travers la résolution 25/6 du 23 avril 2015. Elles ont été conçues pour compléter les lignes directrices internationales sur la décentralisation et le renforcement des autorités locales (2007) et les lignes directrices internationales sur l’accès aux services de base pour tous (2009),
Les objectifs des lignes directrices sont les suivants :
- Mettre en place un cadre de référence applicable en toutes circonstances pour orienter les réformes des politiques urbaines ;
- Reprendre les principes universels des expériences nationales et locales afin de favoriser une diversité d’approches en matière de planification adaptées à différents contextes et échelles ;
- Compléter les autres lignes directrices internationales visant à favoriser le développement urbain durable et établir des liens avec elles ;
- Faire en sorte que les questions de planification urbaine et territoriale occupent un rang de priorité plus élevé parmi les préoccupations de développement des administrations nationales, régionales et locales.
DES PRATIQUES DE LA PLANIFICATION URBAINE ET TERRITORIALE DURABLE
Dans les pays développés plusieurs expérimentations pratiques en matière de développement urbain durable sont entreprises à différentes échelles territoriales (métropoles, régions urbaines, villes moyennes, villes, quartiers, …). On peut citer :
L’urbanisme tactique propose des aménagements temporaires qui utilisent du mobilier facile à installer pour démontrer les changements possibles à l’aménagement d’une rue, d’une intersection ou d’un espace public.
Il englobe toute initiative qui vise, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser. Ces projets se déploient depuis le début des années 2010 en France, en particulier au cœur de la région Ile-de-France, où le foncier coûte cher. dans des cadres juridiques sécurisés, et ont fait peu à peu leur entrée dans la boîte à outils des acteurs de la ville, notamment des aménageurs. L’ouverture des possibles sur ces sites suscite innovation, créativité et, souvent, mixité des usages, ferment d’une ville ouverte, co-construite et répondant aux besoins de ses habitants, actifs, étudiants, etc. L’urbanisme transitoire investit aussi bien des immeubles vides, des sites bâtis à l’échelle d’un projet urbain, des terrains vagues, dans des stratégies multisites ou bien au coup par coup.